**** Tout ça pour quoi, par Lionel Shriver

Shep Knacker a accumulé un petit pécule qui lui permettrait de s'offrir le rêve de sa vie; mais voilà que sa femme lui annonce qu'elle souffre d'un cancer rarissime. Toutes ses économies passeront à essayer d'offrir les soins appropriés à sa femme et à son père, tout en aidant sa soeur et ses enfants. Parallàlement, son meilleur ami doit composer avec une fille handicapée par la dystonie familiale.

L'auteure dénonce ici la fragilité du filet social avec lequel les Américains doivent transiger, thème très présent dans l'actualité. Quel est le prix d'une vie alors qu'il faut compter $40 000 par séance de chimiothérapie? Qui en profite?

Malheureusement, il y a des longeurs dans ce roman qui risquent d'en réduire la portée. Mais les réflexions quant au sens à donner à la vie, qu'il s'agisse de l'adolescente lourdement atteinte ou du grand-père en fin de vie, peuvent alimenter le débat qui s'amorce au Québec. Malgré quelques réserves, c'est un livre à lire!

À lire aussi, de la même auteure: Il faut qu'on parle de Kevin.

Shriver, Lionel. Tout ça pour quoi, Belfond, 2011, 528p.

**** Korsakov, par Éric Fottorino

Il arrive qu'on découvre un auteur par hasard. Mais lorsque la chance nous amène du premier coup à son premier roman, alors on se sent privilégié. Éric Fottorino sait toucher par une écriture brillante.

Trois parties, le même narrateur. Au début, François Ardanuit vit difficilement ses neuf ans entre sa mère et sa grand-mère, son père ne l'ayant pas reconnu. Il compense l'ennui que distille Bordeaux par une imagination débridée.


Puis, devenu François Signorelli grâce au nouveau mari de sa mère, on le retrouve à Palerme quelque trente ans plus tard. Neurologue réputé, il s'auto-diagnostique victime du syndrome de Korsakov. Pour combler les trous de sa mémoire, il puise dans les histoires que lui a racontées son grand-père d'adoption.


La troisième partie est toute consacrée à ce dernier qui a vécu en Tunisie avant l'indépendance.

Une leçon d'histoire qu'on savoure!

Fottorino, Éric.
Korsakov, Gallimard, 2004, 478 p.

*** 1/2 La main d'Iman, par Ryad Assani-Razaki

Départ coup de poing: en voyant l'argent changé de mains, Toumani comprend que son père vient de le vendre. Il sera sauvé de l'horreur par Iman, né des amours brèves d'une Noire et d'un Blanc, et qui ne rêve que d'une chose: partir.

Les chapitres se succèdent avec des narrateurs différents. Chacun apporte son point de vue sur des thèmes aussi grave que sur la quête d'identité, le besoin d'être reconnu et aimé, la violence, l'injustice, l'amitié. La vie est dure dans ce pays jamais nommé. On aimerait un peu de lumière pour ces déshérités.


J'ai moins aimé la dernière parie alors que les personnages sont imbriqués dans toutes sortes de malentendus du fait que les protagonistes n'arrivent pas à communiquer vraiment. Il n'en reste pas moins que pour un premier roman l'auteur montre des qualités indéniables d'écrivain.


Assani-Razaki,
La main d'Iman, l'Hexagone, 2011, 319 p.

***1/2 L'Enquête, Par Philippe Chaudel

Étrange roman qui nous rappelle immédiatement Kafka. Les personnages n'ont d'autre nom que celui de leur fonction. Ainsi l'Enquêteur doit trouver les causes d'une vague de suicides mais  autant le Garde, le Policier, le Psychologue que le Fondateur de l'entreprise lui mettent des bâtons dans les roues. On comprendra qu'il s'agit d'une critique plutôt acerbe d'une société de plus en plus déshumanisante.  Et c'est si habilement écrit qu'on a froid dans le dos!


Claudel, Philippe. L'Enquête, Stock, 2010, 278 p.



**** Le Livre des brèves amours éternelles, par Andreï Makine

"Notre erreur fatale est de chercher des paradis pérennes. Des plaisirs qui ne s'usent pas, des attachements persistants."

C'est  ce qu'affirme l'auteur dans ce roman magnifique. En quelques tableaux  empreints de sensibilité, il nous enjoint de profiter de ces moments magiques que la vie nous distribue au hasard d'un regard, d'une odeur, d'une rencontre. Pourtant,  ses personnages n'évoluent pas dans un monde facile; de l'orphelinat à une pauvre mansarde, de Staline à Poutine, les motifs de réjouissance sont moins nombreux que les occasions de voir que l'homme est un loup pour l'homme. Makine extrait de cette réalité un livre lumineux.

Et comme toujours, je reste ébahie que ce soit un Russe qui me fait redécouvrir la beauté de la langue française!



Makine, Andreï. Le Livre des brèves amours éternelles, Éditions du Seuil, 2011, 204 p.

*** La femme au miroir, par Éric-Emmanuel Schmitt

Trois femmes, trois époques, trois lieux. Chacune veut se dissocier du rôle que l'on attend d'elle: Anne de Bruges éconduit son fiancé pour devenir béguine; à Vienne, Hanna fait une grossesse nerveuse ; Anny tente d'échapper à son statut de star d'Hollywood.  Absentes d'elles-mêmes, de leur corps, elles ne comprennent pas la fascination qu'elles exercent sur les autres.


Les chapitres alternent donc dans cet ordre. Anne évacue peu à peu son mal-être dans la contemplation de la nature et de son Créateur. Hanna se libère à travers la psychanalyse. Quant à Anny, elle a un parcours éclaté entre sexe, drogues et excès de toutes sortes.


Cela aurait pu faire trois nouvelles intéressantes. Mais l'auteur a voulu réunir le destin de ces trois femmes; et le tour de passe-passe pour y parvenir est indigne d'un auteur de sa trempe. 




Schmitt, Éric-Emmanuel. La femme au miroir, Albin-Michel, 2011, 456 p.

**** Si vous recevez cette lettre, par Sarah Blake

Alors que l'Europe croule sous les bombes nazies, l'Amérique continue son existence douillette. La journaliste américaine Frankie Bard, reporter à Londres, tente de sensibiliser ses compatriotes. Dans un petit village du Cape Cod, deux femmes écoutent ses récits poignants: la postière et la femme du médecin parti soulager les victimes du Blitz. Le destin de ces trois femmes sera lié par une lettre à transmettre.

Cette façon de raconter un moment si souvent relaté m'a beaucoup plu. Car ici l'auteure ne s'attache qu'aux gestes quotidiens et ne s'intéresse qu'aux humbles victimes de cette folie meurtrière. Et tout comme la journaliste, nous nous demandons: à quoi sert la vérité? Peut-on vraiment changer le cours des choses? Et si oui, jusqu'où va notre responsabilité?

En
ce sens, il existe un lien certain avec Le camp des Justes de Gil Courtemanche.


Blake, Sarah. Si vous recevez cette lettre, Calmann-Lévy, 2011, 360p.

Remarque: La version
numérique de ce livre porte le titre La postière.